De la plume... aux liseuses

 

   Voici une tentative de rédaction romanesque quasiment en direct, au moins semaine après semaine...

 

"DES NOUVELLES DE GOGOLAND"

 

      Du troglodyte mignon au casse-noix moucheté, du pouillot véloce au pipit farlouze, du pic-vert à l'étourneau, il les connaît tous Gasparin. Avec cependant une préférence pour ce dernier dont le nom  lui a si souvent été attribué à l'école; il s'en fichait alors, ne retenant que son autre appellation : "sansonnet". Ah, ah... cent sonnets ! pas moins; c'était le reconnaître poète, lui, Gasparin !

 

      Aujourd’hui, le temps est bonace, « ni trop frais, ni trop chaud », c’est ce qu’il se répète, ravi. Sa besogne de cantonnier l’a amené à la sortie du village proche du petit bois de pins. Campé là, il profite du babillage des oiseaux, grâce auquel il les identifie pratiquement tous, sauf lorsque le caquetage devient piaillerie comme à présent. Et puis, brusquement, sans raison, plus rien : le silence. Le calme. Il est heureux Gasparin ; son fossé prend forme, le soleil perce franchement les nuages, l’air lui semble si léger ; alors, il sifflote. A quelques pas de lui, l’ombre des pins tachetée de soleil évoque les beaux jours de l’été dernier. Le vert de la prairie voisine en semble ravivé. Jusqu’au ruisseau en contrebas, de l’autre côté de la route, qui paraît avoir accentué son murmure. « Les beaux jours reviennent »

Gasparin consulte sa vieille toquante : « Il est midi, à la soupe ! » glisse t-il à sa carriole à deux roues. Il y rassemble ses outils, lui fait faire demi-tour et revient vers le bourg.

Autant qu’il le peut, il évite de prendre la camionnette de service. Il aime tellement, à l’aller comme au retour, marcher le nez au vent, s’imprégner des odeurs, des couleurs. Quand on pense qu’en ville, les gens font ça par le métro, bedaine contre bedaine… C’est du moins ce qu’il a constaté aux infos dans la « vitrine prodigieuse », constamment allumée au bistroquet de la place. Il a déjà dépassé le panneau VILMIEUX et aussi la dernière maison du village, une de ces bâtisses modernes, trapues, sournoisement ramassées dont l’inspirateur serait le blockhaus que ça n’aurait rien d’étonnant. Son modernisme agressif toise avec condescendance sa voisine, toit pointu et mine modeste.

« C’est l’English, dit Gasparin à sa carriole, qui a fait construire c’t’affaire. Il paraît qu’ils sont nombreux les Rosbifs à investir dans les maisons campagnardes. Nous on n’a pas eu de chance, d’ordinaire ils achètent des bâtisses anciennes qu’ils équipent dernier cri : l’épate du dedans, quoi… indolore pour le paysage. Dans tous les cas, les journaux affirment qu’en effet ils font grimper le prix de la pierre. L’English, il s’en bat l’œil, à l’image de ses semblables en accent. Rien de changé depuis Jeanne d’Arc ! Y’en a qui disent qu’il a construit là parce qu’il espère confusément entendre le miaulement des cornemuses dans les pins… C’est se gourer complètement au sujet de cet instrument connu depuis l’Antiquité (Hé, j’ai un vieux Larousse). De plus, c’est confondre les Anglais avec les Ecossais ou les Irlandais : gaffe à la sauvagerie de la mêlée ! Enfin, ça risque fort de rappeler que John Wayne n’était sûrement pas foutu d’en jouer. Halte aux idées reçues ! C’est vrai, quoi… »

Tout en cogitant, Gasparin siffle toujours. Mais bientôt, après une bonne vingtaine d’enjambées, il cesse brusquement son sifflotement ; parce que, quand même, lui trotte dans la tête une inquiétude : ces images de bagarre, vues hier soir à la télé, entre des CRS et des jeunes d’une cité. On se serait cru au beau milieu de la bataille de Waterloo avec risque majeur pour ses gambettes de ramasser un vieux coup de sabre… Les traits de Gasparin se sont détériorés au moins autant que ceux du boursicoteur devant le krach.

Il a horreur de ces violences, lui qui aime tant sa tranquillité. Il frissonne comme s’il venait de voir monsieur le Maire affublé d’un nez de clown. Son regard angoissé glisse sur la route sans la voir. Alarmé qu’il est !

« Ces morveux des banlieues, ils jouent aux gendarmes et aux voleurs, en vrai ! Ca fout la trouille. »

Quelques pas encore et il s’est ressaisi. Il caresse maintenant d’un regard d’habitué les deux maisons cubiques datant du début du siècle ; elles constituent avec leurs vastes jardins comme une introduction trompeuse au bourg, somme toute bien modeste. Il faudrait un culot de ministre pour qualifier le village de « touristique ». Et c’est tant mieux ! Il est construit de part et d’autre de la longue rue principale où chemine à présent Gasparin ; le voilà en vue de la place de la mairie. C’est un carré spacieux dont la grande rue est l’un des côtés. La place s’étend sur la droite du cantonnier de sorte qu’il ne peut encore voir la mairie mais très bien la fontaine à vasque. Et, au-delà, la large vitrine du café – et son enseigne ! – le café de Collineau où il a ses habitudes.

Il faut reconnaître qu’il avait fait très très fort le Christophe Collineau en ouvrant son débit de boisson, nouvellement acquis. D’abord, en y créant une pièce contiguë, visible de la rue tout comme le bistrot avec lequel elle fait vitrine commune ; pièce réservée à la coiffure pour messieurs. Un salon auquel on accède obligatoirement par la salle du café ! De quoi hérisser quelques mariées.

Collineau, en effet, est coiffeur de son état. D’ailleurs, sa généreuse chevelure blonde argentée lui tient lieu de bandeau publicitaire. Comment ne pas croire qu’une pareille chevelure est entretenue par un expert ?

Durant les séances de coupe, sa femme, une grassouillette blonde nettement améliorée à la décoction de camomille, tient le café d’une poigne de shampooineuse. Dame : plutôt cohérent. A la vérité, le port d’un masque ne lui ferait pas de mal ; toutefois, cela améliore grandement l’exercice du maintien de l’ordre dans ce lieu public. Il faut oser faire face quand elle fait les gros yeux. En comparaison, le train fantôme fait figure de succédané misérable.

Cependant, lors de l’installation, le meilleur restait à venir : le nom de baptême de l’estaminet qu’il fit peindre soigneusement au fronton : « Aux yeux brouillés ». Là, ce fut un concours de lippes ! A commencer cette fois par toutes les mariées, ce qui ne transformait pas le bourg en festival de cinéma, il s’en faut. Les retraités, eux aussi, furent contaminés par la grimace. Et tous les tempérants. Et l’instituteur. Et la totalité des agriculteux. Quant à monsieur le Maire, il en a été chiffonné durant plusieurs jours au point d’en avoir la lèvre molle…

Mais, ce midi, il n’ira pas buvoter un brin « Aux yeux brouillés », Gasparin, il file au casse-croûte.

 

A  SUIVRE...

 



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